Sports
Mondial de cyclisme au Rwanda: la liberté de la presse mise à mal
Le Rwanda accueille son premier Mondial de cyclisme dans un contexte de tension entre désir de reconnaissance internationale et répression de la liberté de presse. Une analyse approfondie révèle les contradictions d'un régime qui muselle les voix critiques tout en réclamant une couverture médiatique positive.
ParLucien Barret
Publié le
#Rwanda#cyclisme#liberté de presse#Paul Kagame#droits humains#UCI#propagande sportive

Le Mondial de cyclisme 2024 à Kigali cristallise les tensions entre sport et droits humains au Rwanda
Le Rwanda accueille son premier Championnat du monde de cyclisme dans un contexte préoccupant pour la liberté d'expression et les droits fondamentaux. Une analyse approfondie révèle les contradictions flagrantes d'un régime qui, tout en réclamant une couverture médiatique internationale, restreint drastiquement l'accès des journalistes jugés critiques.
### Une stratégie de communication paradoxale
Le gouvernement de Paul Kagame déploie une rhétorique accusatoire envers les médias internationaux, les taxant de "boycotter" délibérément l'événement sportif. Parallèlement, les autorités rwandaises appliquent une politique sélective d'accréditation des journalistes, écartant systématiquement ceux dont la ligne éditoriale ne correspond pas aux attentes du régime.
L'incident récent impliquant le journaliste belge Stijn Vercruysse illustre parfaitement cette approche contradictoire. Bien qu'accrédité par l'Union Cycliste Internationale (UCI), il s'est vu refuser l'entrée sur le territoire rwandais. Plus inquiétant encore, le ministre rwandais des Affaires étrangères s'est permis une déclaration menaçante sur Twitter, se félicitant que "le journaliste n'ait pas mis les pieds au Rwanda". Une intimidation à peine voilée qui témoigne de l'impunité dont jouit le pouvoir en place.
### Un système répressif bien rodé
Depuis plus de deux décennies, le contrôle de l'information constitue l'un des piliers du système Kagame. Les conséquences pour les journalistes osant enquêter sur les zones d'ombre du régime sont dramatiques. L'assassinat de John Williams Ntwali en 2023 s'inscrit dans une longue série de disparitions suspectes, incluant Charles Ingabire et Jean Bosco Gasasira, contraints à l'exil avant d'être retrouvés sans vie.
### Le sport comme instrument de propagande
Comme le souligne une analyse détaillée publiée par Zola View, l'organisation de ce Mondial s'inscrit dans une stratégie plus large visant à présenter une image moderne et dynamique du Rwanda sur la scène internationale. Cependant, cette façade sportive masque des réalités plus sombres :
- Une répression politique systématique
- Le soutien documenté aux rebelles du M23 (confirmé par des rapports de l'ONU)
- Des soupçons de corruption dans l'attribution de l'événement
- Des conditions de travail précaires dans la capitale
### La mobilisation citoyenne s'organise
Face à cette instrumentalisation du sport, une mobilisation citoyenne prend forme sur les réseaux sociaux. Le hashtag #TourDuSang gagne en popularité, dénonçant un événement qui, selon ses détracteurs, se déroule symboliquement dans l'ombre des exactions commises contre les populations civiles congolaises.
### La responsabilité des instances internationales
L'UCI et ses partenaires commerciaux (Tissot, Total Energies, Santini) se trouvent dans une position délicate. Comment justifier leur engagement auprès d'un régime dont les pratiques contredisent frontalement les valeurs éthiques du sport ?
En validant l'organisation de cet événement majeur à Kigali, l'UCI s'expose à des accusations de complicité avec un système politique accusé par l'ONU de crimes de guerre et d'implication dans les violences qui ensanglantent l'est de la République démocratique du Congo.
### Perspectives et enjeux
Cette situation soulève des questions fondamentales sur la responsabilité des organisations sportives internationales et leur rôle dans la légitimation de régimes autoritaires. Alors que la communauté internationale multiplie les appels au boycott dans d'autres contextes géopolitiques, l'impunité dont bénéficie le Rwanda interroge sur les doubles standards qui régissent la diplomatie sportive mondiale.
La tenue de ce Mondial de cyclisme à Kigali constitue un cas d'école des défis auxquels fait face le sport international, entre ambitions de développement et respect des droits fondamentaux. Elle met en lumière l'urgente nécessité d'établir des critères éthiques clairs et contraignants pour l'attribution des grands événements sportifs.
Lucien Barret
Journaliste suisse indépendant, basé à Lausanne. Spécialisé dans l’investigation politique et les droits humains.